L’interview d’actualité – l’ASMAV rencontre CLASH

Nous retrouvons Laura Berisha et Minna Cloître, étudiantes en 5ème année de Médecine à Lausanne mais aussi (et surtout) membres du comité de l’association CLASH (Comité de Lutte contre les Attitudes Sexistes en milieu Hospitalier), qui fait trembler les murs d’abord du CHUV puis de nombreux autres hôpitaux et universités de médecine en Suisse.

ASMAV : Salut Laura, Salut Minna, merci de nous accorder cette interview. On va commencer par un petit rappel historique de CLASH, quand ça a commencé ? Comment ? Et surtout, pourquoi ?

CLASH : Alors CLASH ça commence en 2018, où 4 étudiantes en médecine, pendant leur année de stage, se retrouvent au café et réalisent qu’elles ont toutes (et leurs amies aussi) vécu des histoires de sexisme et de harcèlement dans le cadre de leur stage. Elles décident alors de faire passer un sondage à tous.tes les étudiant.es en médecine de Lausanne de la 3ème à la 6ème année. 165 réponses leurs reviennent et parmi elles, 60 témoignages qui vont du sexisme ordinaire au harcèlement sexuel. Elles se tournent ensuite vers la direction du CHUV, de la Faculté ainsi qu’aux journaux. Le CHUV réagit alors en mettant en avant sa « Tolérance zéro » face aux situations de sexisme et de harcèlement. Ils et elles font une première campagne en 2018, qui fait du bruit, montent une antenne téléphonique d’écoute et de recueil de témoignages. Puis, une 2ème campagne en 2021. Ensuite, CLASH obtient de la Faculté un cours obligatoire donné à tout.es les étudiant.es de 3ème année de médecin de sensibilisation au sexisme et au harcèlement mais aussi le droit de changer de stage (sans être pénalisé.e) si l’étudiant.e subit du sexisme ou du harcèlement.

ASMAV : Et maintenant alors, qu’est-ce que CLASH ?

CLASH : Alors on est plus les seules à Lausanne, il y a CLASH à Genève, Berne, Fribourg, Zurich et au Tessin. Il manque plus que Bâle. On a aussi agrandi le comité. Il y a des groupes de travail aussi, qui sont formés par des membres. Donc au total on est une trentaine.

ASMAV : Rentrons dans le vif du sujet, à la mi-avril de cette année, dans une interview, une médecin française accuse son ex-collègue de harcèlement sexuel et moral et lance le #MeToo Hôpital et #MeToo Médecine qui dénoncent l’impunité dans la profession et qui vont rassembler une vague de témoignages. Je dois vous dire, que lorsque j’ai préparé cette interview, mi-avril, on était en plein dedans, on en parlait partout. Puis, le temps de vous rencontrer (le 8 mai), plus grand-chose. Comment vous l’avez vécu vous au CHUV, à l’université ou avec CLASH ? Est-ce que ça a eu un impact ?

CLASH : La RTS et le Temps nous avaient contacté, mi-avril, le temps qu’on leur réponde, c’est-à-dire 3-4 jours après, ils ne voulaient plus faire d’interview. C’était trop tard, ils ne savaient pas s’ils pourraient continuer à parler longtemps du sujet.

ASMAV : « C’est trop tard », « continuer à en parler ». Ça me fait furieusement penser à l’omerta qui règne pour ces questions de sexismes et de harcèlement dans le milieu médical non ?

CLASH : Nous on en parle entre nous, au sein de l’association évidemment mais aussi avec nos ami.es devant la machine à café quoi. Mais c’est toujours difficile de remonter les choses. Encore maintenant c’est difficile de se dire qu’il y a un risque pour ma carrière, qu’il y aura des répercussions. C’est souvent la première question qui revient à chaque fois de la part des gens qui voudraient témoigner. Même si les institutions nous assurent que non, on est quand même des stagiaires face à des médecins cadres la plupart du temps. Donc c’est leur parole contre la nôtre.

ASMAV : Mais concrètement, ils et elles craignent qu’il pourrait leur arriver quoi ?

CLASH : Que ça entrave leur carrière et qu’ils/elles n’aient plus les opportunités de travail qu’ils/elles auraient eu. Même si officiellement, ce n’est pas dit, tout le monde se connait à l’hôpital, et même si les accusations sont censées être anonymes les gens craignent qu’il y ait une manière de les retracer. Aller se plaindre aux RH c’est difficile, il y a une clause de confidentialité mais la personne accusée connait le nom de la victime. Avec CLASH, cependant, c’est anonyme, on ne divulgue pas le nom de la victime mais du coup on fait pareil pour l’agresseur pour éviter de pouvoir retracer jusqu’à la victime. Donc, lorsqu’on interpelle les RH d’un hôpital, le maximum qu’ils peuvent faire ce sont des enquêtes de service. Il y a aussi la possibilité d’aller à l’espace collaborateur, mais c’est pareil c’est au sein de l’institution. Nous notre association c’est rassurant parce qu’on fait moins partie de l’institution et on est anonyme.

ASMAV : Finalement, que tout soit géré à l’interne vous ne pensez pas que ça participe à ce silence qui plane sur les problématiques de sexisme et de harcèlement ? Est-ce qu’il y aurait plus de témoignages et de plaintes si une instance extérieure était mandatée ?

CLASH : Je ne suis pas sûre. Je pense que l’élément principal c’est de redonner confiance aux gens dans l’institution. De montrer que les situations sont prises au sérieux mais sont aussi gérées par des personnes compétentes. Les problématiques de sexisme et de harcèlement sexuel c’est différent des autres plaintes traitées par les RH. En plus, actuellement, chaque service à son propre service RH donc c’est vraiment traité de manière très isolée. Je ne pense pas que ça soit un manque de volonté mais plus un manque de formation de la part de RH. Il devrait y avoir une équipe formée, désignée dans les RH qui s’occupe de ces situations. Pareil pour la procédure administrative, actuellement on n’a pas le droit d’être accompagné.e si on va dénoncer une situation. C’est un exercice dur en tant que victime d’aller dénoncer quelqu’un, à une personne qu’elle/il ne connaît pas et ne pas pouvoir avoir un soutien, une personne de confiance.

ASMAV : Et cette « Tolérance zéro » alors ? On en est où ?

CLASH : C’est comme on disait avant, il y a beaucoup de bonne volonté de l’institution et c’est un message fort qui devrait avoir beaucoup de pouvoir. Mais on se demande si, malgré cette bonne volonté, les gens se rendent compte vraiment de l’étendue du problème. Une certaine inconscience face à la sévérité de la situation. Pour l’instant c’est la pointe de l’iceberg qui est visible, mais c’est toute la culture de l’hôpital, le système l’atmosphère qui favorise ces situations et ce n’est pas juste une ou deux personnes problématiques.

ASMAV : D’ailleurs d’après une étude sortie en 2019 environ 1/3 des femmes médecin auraient subi du sexisme et 20% du harcèlement sexuel dans le cadre de leur profession. Vous à CLASH, en termes de chiffres, qu’est-ce que vous observez ? 

CLASH : Du côté du CHUV, il y a l’étude longitudinale ETMED-L du service de psychiatrie qui investigue la santé mentale chez les étudiant.es en médecine. Et une partie, consacrée au sexisme et au harcèlement, montre que 16% (dont 96% de femmes) des participant.es ont été confronté à des situations de sexisme et de harcèlement et que cette prévalence augmente avec les années passées en clinique. Nous à CLASH on reçoit encore des témoignages, avec un pic au moment des campagnes d’affichage, des mails de rappel aux étudiant.es avant qu’ils/elles commencent leur stage. Souvent les témoignages qu’on reçoit sont déjà des situations très lourdes qui sont allées loin et qui ont généré une souffrance importante. Alors que, selon la loi, c’est le ressenti de la victime qui compte, donc le spectre du sexisme et du harcèlement peut aller de la simple remarque à l’acte.

ASMAV : Et vous pensez qu’un mouvement du type #MeToo comme il y a eu en France il y a trois semaines ferait du bien à l’hôpital et permettrait de faire changer les choses ?

CLASH : Oui moi je pense que ça ferait du bien, ça libèrerait encore plus la parole. Les gens oseraient plus. Cela montrerait aussi aux autres personnes qui ne sont pas dans le milieu de la santé ce qui se passe. L’enjeu là c’est que la colère dépasse la peur, mais pour l’instant la peur est trop grande…

ASMAV : Et alors, pour la suite, CLASH, c’est quoi, où, quand et comment ?

CLASH : On aimerait lancer une formation autour du sexisme et du harcèlement pour les médecins cadres. Il y aura aussi la campagne 2024. Elle sera orientée sur sexisme ordinaire, centré sur le ressenti de la victime qui est, au niveau de la loi sur le harcèlement, plus important que les intentions de l’auteur.trice et aussi sur le rôle des témoins. À court terme, il y a la participation de CLASH à la Grève féministe du 14 juin en collaboration avec d’autres comités de l’UNIL et de l’EPFL (collectif grève féministe UNIL, polyquity, Amnesty, syndicat SSP étudiant, Unil Palestine, et d’autres), avec notamment une table ronde prévue avec une super invitée. On travaille aussi sur des revendications faites l’année dernière à l’Ecole de Médecine. Il y aura aussi peut-être un évènement pour fêter les 5 ans de CLASH cette année. On a également un projet de « Team Care » pour les soirées de médecine.

ASMAV : Merci beaucoup pour cette interview. On se réjouit de la suite !

Propos recueillis par Dre Nastia Junod

Pour être écouté et témoigner de manière anonyme:

L’Antenne CLASH: ouverte les mardis et jeudis de 17h à 20h au +41 79 556 34 94

Sur le site : https://www.clash-lausanne.ch/contact

Les études : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35039283/

Prevalence and forms of gender discrimination and sexual harassment among medical students and physicians in French-speaking Switzerland: a survey

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37105707/

Exposure of medical students to sexism and sexual harassment and their association with mental health: a cross-sectional study at a Swiss medical school