Un parcours riche et atypique : portrait d’une future ex-membre, Anja Zyska Cherix

     

  • Peux-tu faire un résumé de ton parcours professionnel et personnel ?

Je suis originaire d’Allemagne et j’ai débuté mes études là-bas à Heidelberg par 2 années en physique après avoir hésité avec la médecine. J’ai beaucoup aimé ce cursus (il me servira tout de même plus tard dans ma formation en médecine) mais je n’y voyais pas de carrière concrète et la dimension humaine me manquait. Finalement, j’ai opté définitivement pour la médecine.  En 5ème année, j’ai participé au programme d’échanges ERASMUS. Je suis venue en Suisse ; j’y ai connu Stéphane, mon mari, et je suis restée.

Après avoir écarté le choix d’une spécialisation en pédopsychiatrie après un dernier stage de 4 mois en fin de formation prégraduée, puis un 1er enfant, une place d’assistanat passionnant en chirurgie cardiaque en début de formation post graduée, puis un deuxième enfant, l’option d’une formation à temps partiel s’est imposée. Pour une part, ceci a façonné les orientations possibles de spécialisation. On pourra y revenir, mais le temps partiel quand il est une alternative pour fonder une famille reste un frein dans le choix d’une filière de formation. J’aurais aimé m’engager dans une formation en chirurgie, mais aucune formation n’était disponible à temps partiel. Je suis donc revenue à ma première vision professionnelle, la médecine de famille, puis j’ai enchainé avec une spécialisation en médecine du travail. Avec le recul, je peux dire aujourd’hui que tous les stages et toutes les disciplines rencontrées lors de ma formation post graduée ont été utiles à mon parcours professionnel. Peu importe la discipline, le plus important finalement a toujours été de placer l’être humain au centre de mon travail. Mais, quand je me revois au gymnase avec le projet de devenir chirurgienne ou médecin de famille, je me rends compte, en occupant aujourd’hui un des plus hauts postes de cadre en médecine du travail, du chemin parcouru depuis mes ambitions de jeune étudiante. 

  • Quand t’es-tu engagée dans le comité de l’ASMAV et quels postes occupais-tu ?

Après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai fait un stage d’un an en psychiatrie pour à la suite prendre un poste à la PMU de Lausanne. J’obtiens ensuite un poste à Yverdon en médecine interne (le seul que j’ai dû prendre à 100%, faute de trouver un poste à temps partiel en médecine interne hospitalière en 2006) et j’apprends que je vais être maman pour la 3ème fois. Après le congé maternité, retour à la PMU de Lausanne avec donc 3 enfants à m’occuper dont un bébé et un poste à 60%. Et là, devant ces 2 vies difficiles à concilier et la difficulté de se construire une vie professionnelle solide avec un temps partiel, avec la colère qui m’habitait, je me suis dit il faut bouger, il faut s’engager. C’est une collègue qui m’a motivée à rejoindre l’ASMAV en 2009. Patrick Wilson était alors président pour la dernière année et Julien Vaucher allait lui succéder. J’étais déjà membre depuis quelque temps avant de me présenter au comité. Après une année, je prends la vice-présidence au côté de Julien puis la présidence au départ de Julien.

  • Pourquoi t’es-tu engagée dans le comité de l’ASMAV ?

M’investir dans le comité, il est vrai, représentait un engagement supplémentaire en plus de ma formation et de mon rôle de maman mais c’était une autre manière de me mobiliser pour des valeurs importantes à mes yeux sans être seule à le faire dans mon coin. J’ai jugé important de faire bouger les choses en travaillant en équipe et de s’engager pour défendre la qualité d’une formation et carrière professionnelle – à temps partiel notamment, lorsqu’il est question de pouvoir concilier ses aspirations personnelles et sa vie professionnelle. Il faut rappeler que j’ai commencé à travailler avant l’introduction des 50h/semaine et qu’au début de ma carrière, travailler 12-13h/jour était normal, les gardes de nuits et de weekend n’étaient pas compensées par des congés et, par conséquent, il pouvait m’arriver de travailler 80h/semaine en ayant un poste à 60%.  Ces conditions emmenaient de jeunes femmes médecins à renoncer – et encore aujourd’hui – à leur plan de carrière pour pouvoir fonder une famille ou d’autres s’interdisaient de fonder une famille pour aller au bout de leur projet de carrière. C’était et cela reste très dur comme situation.

  • Quelles sont les actions de l’ASMAV qui t’ont le plus marqué lors de ton implication dans le comité ?

Parmi les actions les plus marquantes au début de mon engagement à l’ASMAV, il faut certainement citer les négociations des CCT et plus encore leur application. Conduire des discussions avec les directions hospitalières n’a pas toujours été chose aisée ; au début, sur le front, le ton n’était pas vraiment collégial. Le grand défi a été de restaurer le dialogue rompu avec certaines directions hospitalières, notamment des FHV, pour laquelle il a fallu une médiation du DSAS. Aujourd’hui, la communication est de nouveau possible et constructive pour la plupart du temps. On se souviendra aussi de la conclusion d’une CCT avec les HRC et de la création de la Formation Installation en Cabinet qui depuis est pérenne. En mémoire, il reste aussi les dossiers difficiles qui ont peu ou pas abouti comme la création d’un fond pour favoriser le temps partiel au niveau du DSAS ou une crèche au CHUV compatible avec les horaires de travail des jeunes mamans. Dommage d’ailleurs qu’on n’a pas pérennisé celle que le CHUV a réussi à ouvrir en un rien de temps durant la première vague du Covid-19 !

 

  • Qu’as-tu appris de ton implication dans l’ASMAV ?

Justement savoir comment s’impliquer, comment créer/encourager un esprit collaboratif sur le terrain et l’art de la négociation. Au niveau politique, c’est assurément comprendre le système de santé à un niveau cantonal et national dans sa globalité en faisant valoir la réalité d’un médecin au quotidien. C’est savoir aussi se situer dans ce système comme un acteur et y déceler les enjeux pour mieux les influencer par la suite. J’y ai aussi compris l’importance pour les fonctions dirigeantes et les instances politiques de mieux connaître le statut des MAs et CDC car c’est bien là l’un des enjeux majeurs de l’asmac et des sections comme l’ASMAV. Le but est de former de bon.n.e.s praticien.ne.s au sein d’un système qui fonctionne. C’est certainement ce point qui m’a conduite naturellement vers mon engagement à l’asmac comme membre au début et vice-présidente/présidente à la suite (ndlr : présidence qu’elle quitte en 2020 ; elle est remplacée par Angelo Barrile).

  • Est-ce que ton implication dans l’ASMAV a modifié tes projets de carrière ?

Influencés certainement, en tous cas. J’ai pu davantage prendre conscience de l’importances des conditions de travail et du bien-être nécessaire des travailleur.euse.s et faire le lien avec leur santé au travail . Finalement tout ce qui est au centre aujourd’hui de mon activité de médecin. Au long de mes mandats quand il a fallu gérer, négocier, communiquer, ce fût autant d’expériences à vivre que de compétences à développer. Je pense avoir pu valoriser ma double expérience au sein de l’ASMAV et l’asmac pour l’obtention de mon poste actuel. Le nombre d’années passées, le management de projet, la gestion des budgets, entre autres…tout ceci a certainement compté comme expérience professionnelle reconnue.

A contrario, mon implication a pu certainement parfois susciter une mécompréhension de la part de ma hiérarchie directe, dans ma capacité à assurer de front et sereinement toutes mes responsabilités. Mes positions respectivement à l’ASMAV et à l’asmac ont peut-être induit une certaine retenue sinon méfiance dans les relations professionnelles notamment avec les hiérarchies.

  • Avec les horaires de médecin assistant (et une famille), comment trouver du temps pour participer à des activités extra-professionnelles ?

A un moment donné, il faut bien se dire qu’une journée n’a que 24 heures. Vie associative, chorale ou peinture, cela devient une question de choix et j’ai choisi.  Quant à ma famille, elle semble avoir compris mes choix ; l’importance d’avoir un projet porté vers les autres et un espace à moi, à côté d’une vie investie de mère de quatre enfants, a été déterminant également pour moi. Cela a été valorisant à titre personnel – en tant que mère et femme – d’être reconnue, y compris dans mes fonctions associatives.

  • Pourquoi est-ce important de s’engager dans l’ASMAV selon toi ?

C’est primordial. Le système de santé bouge, les conditions d’exercice des médecins et les besoins de la population aussi. La Suisse a besoin de bons médecins, formés adéquatement, et en Suisse. Pour y parvenir, il est donc important de s’impliquer pour le devenir de la profession de médecin et des conditions de formation. Former les futur.e.s médecins, cela signifie les former de manière juste, en tenant compte de l’évolution de la médecine, de la société et des besoins des patient.e.s, mais également du contexte de la politique de santé et bien sur des considérations des médecins eux/elles-mêmes en termes de conditions de travail et de vie privée. Autant de paramètres comme la digitalisation d’une partie de l’activité, la surspécialisation, le nombre des médecins pratiquant.e.s, la place du temps partiel, les horaires de travail, etc…qui sont essentiels à discuter et à intégrer. Adhérer à l’ASMAV et encore plus intégrer le comité, c’est donner les moyens à l’association de faire un focus sur la qualité des soins de santé et des conditions de travail des professionnel.le.s de demain.

 

  • Si tu devais recommencer, referais-tu partie du comité de l’ASMAV ?

Oui à 100%.  D’ailleurs, je vais certainement garder un lien avec l’association et le comité.

  • En plus d’être médecin, tu es aussi mère de 4 enfants. Quels conseils pourrais-tu donner aux femmes qui se questionnent sur la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ?

 

En premier lieu, être convaincue de ce que l’on veut et de ce qu’on a à donner.

Ensuite, ne pas se surestimer et privilégier un mode de garde d’enfants bien organisé. Jongler entre nounou, garderie, baby-sitter n’est pas facile et cela a un coût mais cela vaut la peine de faire cet investissement pour concilier le professionnel et la vie privé sans rien devoir sacrifier. Le temps partiel m’a bien sûr énormément aidé pour être à la fois une femme active et une maman présente autant que possible. Et puis, garder la confiance malgré les difficultés, les coups durs et les découragements qui finalement passent. L’envie de travailler ne m’a jamais quittée car je sais que je fais un très beau métier et que le rôle de maman est tout aussi essentiel à mes yeux et qu’il n’y a aucune raison de renoncer à l’un ou l’autre de mes engagements.